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Retours sur le News Product Alliance Summit



Retours sur le News Product Alliance Summit

(avec ci-dessus une belle photo « terrain » so 2021, aka une capture d’écran) 


« Ton CMS est ton premier rédacteur en chef »

David Cohn, News Product Alliance Summit, 2021. Cette simple phrase reflète l’esprit de la conférence qui a accueilli 400 participants d’un peu partout dans le monde, sur Zoom, les 23 et 24 mars 2021, pour le News Product Alliance Summit.

Et cette phrase n’est pas neuve. David en parle depuis cinq ans – cf. son post en 2017 et en VO: « The CMS is your first editor« .

En quelques lignes : les possibilités du CMS dictent la façon dont un rédacteur va rédiger son papier. L’outil de publication impose des contraintes ou offre des espaces qui sont les premières règles auxquelles il ne peut pas déroger. Il modèle la façon dont est transmise une information, et c’est en ce sens qu’il agit comme le premier des rédacteurs en chef, que ce soit un CMS print, web, un réseau social. Exemple, sur Instagram, sans photo tu n’existes pas ; sur twitter tu peux l’éviter. L’outil impose ou libère, donc.

Cette réalité, au moins celle-ci, une fois consciente dans les rédactions, permet de faire un grand pas vers la logique produit. Vous trouverez ci-dessous des citations et des documents issus de la conférence, complétés de quelques réflexions et expériences personnelles.

Les participants ?
Des journalistes entrepren
ants

L’expérience des participants était assez inégale. Certains découvraient la logique produit dans de “petits” médias. D’autres sont “program manager” dans les équipes produit du Wall Street Journal.

Pour vous donner une idée des métiers dont nous parlons, voici la liste des différents postes occupés parmi les participants européens (liste sans ordre particulier) :


Audience Manager
Head of Digital
Senior Product Manager
Data Journalist
Editor at the WDR-NewsLab
Product Manager
Head of content and data journalist/trainer
Editorial Manager
Independent digital consultant
Head of Product & Projects
Newsletter Editor/Coordinator
Officially: Head of Digital Editorial — Really: Lead for anything Digital
News Digital Lead
Director, Digital Products and Platforms
Head of products and Editorial innovation
Membership Strategist
Digital Transformation Manager
Engagement consultant
Head of Business Development
Strategist, Corporate Strategy Membership Coordinator
Head of Leadership Development
Strategy and Innovation Consulting Intern / Journalism student
Head of Exec Ed & Prof Dev Programs
ex-reporter, entrepreneur
Chief Product Officer
CEO, ex Head of Product
Product Lead Sport
Product manager
Editor focused on innovating our visual journalism
Chief Operating Officer Director of News Products and Projects
Head of the AI + Automation Lab

L’une des sessions, “Weird and Winding Career Paths To Product” (traduction littérale : “Les étranges et sinueux parcours qui mènent au produit”), a été l’occasion de mieux comprendre le cheminement de chacun jusqu’à cette participation au News Product Alliance Summit.

Tous sont journalistes, ou amoureux du journalisme. C’est un point non négligeable, parfois oublié dans certains recrutements. Si on ne comprend pas ce qu’est le journalisme, pourquoi il peut être utile, alors il est compliqué de prendre les décisions qui vont permettre de réaliser les produits en adéquation avec ce qu’est un média.

Cependant, tous sont des journalistes entreprenants – voire entrepreneurs. C’est une posture clairement partagée par les 300 participants. En parallèle du Zoom, nous en avons parlé dans le slack de l’événement, avec un constat intéressant : quand des journalistes montent un média, peu importe leur âge, leur parcours, leur projet, ils adoptent une posture produit. Vous devez effectivement penser à votre audience, à comment vous allez transmettre l’information et à comment vous allez pouvoir faire progresser votre média pour atteindre un objectif quelconque – même pour des lancements de médias traditionnels, où l’on recherche N milliers de ventes en kiosques, d’auditeurs ou de téléspectateurs.

Cette posture produit disparaît après le lancement, quand on atteint un rythme de croisière et que l’on ne recrute (presque) que pour le « run ». Or nous sommes à un moment particulier de l’économie des médias, qui implique une transformation forte et qui nécessite d’avoir des équipes capables de construire le « build ». Des équipes qui sont au cœur de chacun des métiers nécessaires à un média, pour soulever – et maintenir en permanence – la question du « comment pouvons-nous améliorer notre proposition éditoriale et donc nos valeurs, auprès des lecteurs comme auprès des annonceurs ? »


Interlude sous forme de recommandations de lectures : ce récent article sur les difficultés du Wall Street Journal à continuer à évoluer, malgré son succès sur le digital et sa capacité à faire des bénéfices.
E
n français, lire les billets de Maxime Loisel sur le rapport stratégique 2021 du WSJ.


Le contenu de la conférence :
C’est quoi un produit, et qui pour le faire ?

Pour vous donner une idée des sujets évoqués pendant la conférence, qui avait la forme d’un barcamp, voici la liste des sessions qui ont eu lieu sur zoom.

NPA Summit opening
Product Macgyvering in LatAm / The real Product Macgyvers
Weird and Winding Career Paths To Product
ABCs of Product
How to get buy-in for a new project, product or team
User research in the trenches
Technology + Innovation to fight disinformation
How to Cultivate a Culture of Innovation in News Organizations.
« Yes, You Are A Product Person: How To Define And Reframe Your Role”
Weaponizing Product Thinking for DEI
Product Thinking at Google: News Products in a Tech Company
Books that have gotten us through the pandemic
Product for artists
Teaching Product As An Adjunct
Product leadership in newsrooms, with or without the title
“The 7 building blocks of Reflective Journalism »
CMS Show and Tell – What should our CMS do for us?
Social network influencers: building your career through relationships
How to say no across cultures
User research in the trenches
What is product (for the rest of the org)
Tell your own story and then make the next jump.
Breaking down barriers to useful documentation
Meet a buddy! Speed networking session
Cooking Up News Products
How Can Product Lead An Organization (and is it ready)?
Summit Closing

Et donc, c’est quoi la logique produit ?

Une logique produit dans un média répond à « A quel point ce que nous publions, et la façon dont nous le faisons, répond aux besoins des lecteurs ». Traduction approximative de « To what extent does our solution fit the audience’s need ? », formulée par Alex Droessler dans un atelier auquel je n’ai pas assisté (merci @LEBertoc pour la reprise de cette citation).

Cela impose de se poser des questions sur son travail. Une pratique finalement assez peu répandue dans les médias, où sont parfois posées des questions sur la qualité de ce qui est produit, assez peu sur le processus qui permet sa production.

A noter, en tout cas c’est comme cela que je l’accepte, cette logique est contextuelle à la stratégie éditoriale. Elle ne vaut pas *que* pour faire de l’audience à tout prix ; elle vaut pour tout type de positionnement éditorial.

L’un des rôles des équipes produits dans les médias est d’aller questionner ces pratiques, ces processus, avec une mission de fond : comment les améliorer ?

Ce travail est moins présent dans des médias installés qui sont donc dans un « run » permanent pour sortir le journal (imprimé, radio ou télé). Ce qui explique d’ailleurs pourquoi, en tant de décennies, si peu a changé. Cela commence doucement, mais il y a quelques années – et encore régulièrement aujourd’hui – on commande toujours un article en fonction du carton dans lequel il sera rangé.

C’est l’arrivée perturbatrice dans les médias de bidouilleurs qui ont amené une réflexion autour du « build ». A la traditionnelle question « qu’est-ce qu’on fait ? », on ajoute :

 « Comment fait-on aujourd’hui ? Comment faire demain ? Et dans quel objectif ? ».

Un chemin que beaucoup ont emprunté ici en France depuis quelques années. Rétrospectivement, je me rends compte que les contributions dans la “Communauté des journalistes qui tâtent un peu des outils modernes”, ou les partages sur les blogs respectifs comme ceux dArnaud Wéry, de Nicolas Becquet, ou feu Mise à journalisme, l’ancien blog de Maxime Vaudano, c’était finalement cet esprit de « comment je bosse, et en quoi cela permet de mieux répondre aux besoins des lecteurs ».

Aujourd’hui ces pratiques individuelles se professionnalisent avec des équipes produits.

Un chemin encore tortueux pour beaucoup. Feli Carrique, directrice de l’innovation à Sembra Media en Argentine, a ouvert le sommet sur les problématiques d’accessibilité aux outils pour les hispanophones. Elle explique notamment qu’on est au stade des « MacGyver » en Amérique latine, avec des journalistes-produit qui doivent travailler sans budget, à coup d’abonnement à 100 balles par mois sur des outils en anglais et en SaaS.

Les lignes budgétaires semblent s’ouvrir en France, très inégalement selon les médias, mais on y est. Reste la problématique de la langue, qui est la même en France qu’en Amérique latine : le niveau d’anglais moyen est un frein à l’évolution des rédactions. Si certains maîtrisent suffisamment l’anglais ou n’ont pas peur de « tout casser » en appuyant sur un bouton, la plupart sont comme des lapins devant des phares quand il s’agit de manipuler des outils en anglais.

Nous devons continuer à défendre le français, et à l’aider à grandir dans des domaines où c’est possible. (Ping Jacques Toubon 🙂

En informatique, absolument tous les langages de l’écosystème sont en anglais – et ce dès le démarrage de l’informatique il y a fort longtemps. Kudos Ada Lovelace, une jeune femme britannique qui a écrit ce qui est considéré comme le premier programme informatique, comme l’explique Usbek et Rica.  

Le code informatique est en anglais, ceux qui fabriquent les logiciels le font en anglais – y compris les boîtes tech françaises qui ne veulent pas se limiter au marché francophone.

La gestion des langues dans les produits numériques est un vrai défi, notamment parce que les évolutions demandent un rapide rythme de mises en production qui seraient considérablement retardées par la localisation des interfaces, sauf à intégrer un important budget ad-hoc.

Bref, dans les médias, dans les rédactions et dans tous les autres métiers, de la publicité à la finance et à ceux qui négocient des contrats en anglais, il apparaît plus réaliste de faire progresser les équipes via des formations à… l’anglais, pour maîtriser l’écosystème du numérique.


A ce propos, lire les 10 conseils de Penny Riordan sur comment gérer les produits qu’on achète en SaaS.


Et encore, nous n’avons même pas parlé de la capacité que devraient avoir les journalistes à décortiquer des algorithmes pour expliquer comment fonctionne le monde. Non seulement il faut maîtriser la langue anglaise, mais il faut aussi comprendre d’autres langages, informatiques ceux-là. Ou au moins intégrer, en tant que journaliste, qu’avoir des personnes aux compétences différentes d’un rédacteur a une valeur tout aussi importante que celle de publier. Le journalisme n’est pas limité à l’acte de publication ou de diffusion, il est avant tout dans le processus amont : la recherche de sources, la vérification, la contradiction, etc. De nombreuses compétences complémentaires à celles uniquement d’écrire sont utiles.

Cette approche complémentaire entre les journalistes et les équipes produits n’est pas innée. Nous arrivons à un autre atelier, qui a fait « zoom plein » : comment communiquer la dimension produit, par essence transversale et dans une logique de “build”, a des organisations en silos accaparées par le  “run” ?

La réponse tarte à la crème : il faut faire et communiquer.

Et cela passe par une multitude de possibilités concrètes

    • organiser des sessions de présentations de process, d’outils, etc., au moment du petit-dej, du déjeuner, lors d’apéro. Vous allez souvent voir les mêmes têtes, ce n’est pas grave : ce sont elles qui derrière vont propager ce que vous avez partagé. La question qui me taraude, c’est pourquoi limiter ces sessions au « digital » ou autres sujets considérés comme “modernes ». On a beau être dans une entreprise depuis longtemps, on ne sait pas réellement comment travaille l’équipe d’à-côté. Je me demande combien de commerciaux connaissent le flux d’un article, ou combien de journalistes connaissent les contraintes d’une opération marketing. Cette communication transversale est valable pour tous les métiers – et même pour les équipes qui s’occupent des bâtiments pour expliquer comment fonctionne la clim’ ou le chauffage.
    • De nombreuses pratiques issues d’autres métiers sont tout à fait valables pour les journalistes, au même titre que la notion de “mission pour l’audience” des rédactions peut inspirer d’autres équipes. Regardons nos voisins de bureaux.
    • expliquer ce sur quoi on travaille – et comment on y travaille. C’est un bon moyen d’engager les participants dans un processus produit qui met l’utilisateur / le lecteur au centre.
      Anika Anand explique par ici comment elle a travaillé sur la création de newsletters avec la technique d’écriture des user stories  « jobs to be done ». Nous avons utilisé cette méthode pour mettent les participants dans une posture produit. Nous en avons fait un lors de l’atelier “What is product (for the rest of the org)@. Le principe : réfléchir aux user stories d’une personne qui doit se préparer le matin. En utilisant la méthode jobs to be done (JTBD), les interrogations sont simples : que doit faire une personne le matin ?
      • se réveiller
      • se lever
      • se laver (la plupart…)
      • s’habiller
      • manger un bout
      • boire un café ou autre éveilleur de neurones

        A chacun de ces jobs to be done, correspondent de multiples sous-tâches. Pour le café, facile : faire chauffer de l’eau, prendre du café, verser, sucre, etc.
Et pour ces sous-tâches, il existe des fonctionnalités qui simplifient la vie de l’utilisateur
Si l’on remonte loin dans le temps, il devait aller chercher le bois dans un abri (L’abri est une fonctionnalité), allumer le feu (le briquet à silex est une fonctionnalité), faire chauffer l’eau (la cafetière est une fonctionnalité), doser son café (la cuillère est une fonctionnalité), etc.
Ces derniers temps, il peut simplement mettre une dosette parmi un choix incroyable et appuyer sur un bouton, qui est la fonctionnalité.

Pour passer de la fonctionnalité historique à l’actuelle, plein de bonshommes se sont interrogés sur les usages, et comment les faciliter. Avec une petite subtilité que nous vivons pleinement : parfois des progrès d’usage ne répondent plus aux besoins ou aux envies des utilisateurs qui, par une conscience parfois soudaine, se disent “Quand même, ces dosettes en alu, c’est pas très écolo”.

C’est pour cela qu’il faut toujours se poser la question de l’utilisateur, de ce dont il a besoin ET envie, de façon consciente ou inconsciente, pour lui proposer les fonctionnalités, dans un produit, qui lui corresponde là maintenant (aka le fameux “time to market”)

Pourquoi améliorer un processus qui fonctionne depuis si longtemps ?

Précédemment, nous parlions de l’objectif de la logique produit autour du “comment améliorer les processus”. On peut se poser la question du « mais pourquoi se poser cette question ? » 😉
Dans la presse quotidienne en tout cas, c’est assez simple, et je répondrais par un graphique ci-dessous qui est inclus dans
un thread Twitter par là.

Graphique issu des “Tableaux statistiques de la presse” de la DGMIC, dont la page a disparu sur le site (mais reste dans le cache de Google 😘)

L’état des lieux, nourri par la donnée, est le point de départ. Cela fait des décennies, en fait, que les médias perdent des lecteurs. Internet n’a probablement rien arrangé sur les ventes papiers – même si aujourd’hui il est devenu, dans certains médias, le produit principal en tant que générateur de revenus. D’ailleurs attention le graphique s’arrête en 2017, et les 5 dernières années ont été autrement plus dynamique en terme d’abonnements – et plus largement de clients.

Cette conscience autour d’un besoin de données est partagée par les participants au sommet. « La donnée, par les actions qu’elle permet, doit être au centre ». Et il y a là un grand écart entre les médias. Certains vont mettre la donnée comme objectif – par exemple avoir le plus grand nombre de [mettez ce que vous voulez] ; d’autres vont l’utiliser comme un indicateur des actions prises et à prendre [comment faire pour que notre taux de […] augmente/baisse].

Les participants approuvent plutôt la seconde approche, même si les décisions sont objectivées sur des résultats bruts par rapport au reste du marché, assez peu sur l’évolution des performances qui sont pourtant contextuelles aux moyens de l’entreprise. Il est nécessaire de faire un état des lieux, une photographie de l’indicateur de départ, pour de quoi nous partons.

Surtout, la donnée n’est pas une fin en soi. Elle doit servir une vision plus large qui s’exprime aux travers d’objectifs. Réussir à mesurer les impacts des actions qui sont réalisées en fonction d’un objectif à atteindre sont au cœur de la logique produit, d’où l’importance d’une mesure.

Tout au long du summit, aussi bien explicitement dans les ateliers et en filigrane des discussions slack, apparaît la question de la posture de l’équipe produit par rapport aux autres directions.
Cf . la liste ci-dessous des ateliers qui tournent autour du sujet :
How to get buy-in for a new project, product or team
How to Cultivate a Culture of Innovation in News Organizations.
« Yes, You Are A Product Person: How To Define And Reframe Your Role”
Product leadership in newsrooms, with or without the title
What is product (for the rest of the org)
How Can Product Lead An Organization (and is it ready)?

Par définition, apporter une nouvelle façon de réfléchir bouscule les organisations établies. Il n’y a pas de réponse idéale pour réussir, mais une approche discutée pendant le sommet paraît intéressante.

Le principe est de quitter l’aspect purement productif pour s’attacher aux personnes, et notamment à leur manière de réagir à certaines situations. A notamment été partagé le « Kickoff Kit: Tools to Help Teams Work Better Together » du New York Times qui permet à chacun de se positionner par rapport aux autres et d’adapter sa relation sur des faits et non sur des a priori. Cela permet notamment d’éviter de partir sur des projets bille en tête en fonction de ce que l’on sait faire ou a envie de faire, mais d’être capable de s’interroger sur le besoin du public / audience.

Au final, j’en retiens qu’avoir une approche centrée utilisateur pour une équipe produit ne se limite pas aux utilisateurs finaux, mais aussi aux personnes qui sont dans votre quotidien au travail 🙂


Quelques outils / templates / guides partagés pendant le summit, pour s’inspirer

Pour ceux que cela intéresse, des formations autour de la logique produit / entrepreneur / stratégie 

Et quelques bonnes lectures pour s’ouvrir un peu

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Cedric
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